Camionnettes 3 roues
Le triporteur Austral type L, première et deuxième séries
À la fin des années vingt, le motocycle industriel prend un nouvel essor, car cet engin, capable de transporter une charge de jusqu'à 400 kg, répond parfaitement à la demande croissante des petits commerçants et des grands magasins.
Il s'agissait alors le plus souvent d'une moto dotée d'un avant-train portant une caisse, calquée sur l'exemple des tricars de livraison qui avaient sillonné les routes vingt ans auparavant. Moto Revue parle donc à juste titre de "un retour au tricar mais bien amélioré" et souligne le fait que "en somme, l'évolution du motocycle industriel est étroitement liée à celle de la motocyclette, soit qu'on adopte la disposition de l'avant-train ou de l'arrière-train ( Nº 350 p. 1487, 23. 11. 1929). Vite l'on trouve le nom "trimoteur" pour ce "nouveau genre de véhicule" (Moto Revue). Parmi les motocycles industriels comptaient naturellement aussi les side-cars industriels, considérés moins aptes pour des charges élevées qu'un trimoteur, et les cyclecars industriels.
Visant à promouvoir ce genre de véhicule, Moto Revue inaugure un "Championnat du Motocycle Industriel", dont la première édition aura lieu le 16 septembre 1928.
Quelques semaines avant cette épreuve, Édouard Cheilus, en tant que directeur du conseil délégué de la maison Austral, s'adresse dans une lettre à la direction de Moto Revue, qui en publie le texte intégral intitulé "Austral se redresse !". Il rappelle que le trimoteur n'a rien de nouveau et se plaint que les pionniers, à savoir Austral (1904) et Contal (1905), soient de si vite oubliés. En outre, Cheilus réclame – sans mentionner Albert Jean – la paternité du tricar. Évidemment, au moment de l'annonce de cette nouvelle épreuve, Austral est en train de développer son propre trimoteur, qui ne sera malheureusement pas prêt pour y participer. Toutefois, afin de profiter de cette occasion pour mettre la marque en avant, Cheilus lance un appel aux propriétaires d'anciens tricars Austral de livraison, toujours en service, de participer au championnat et annonce que la maison, qui fournit encore toutes les pièces de rechange, mettra à neuf les tricars participants.
À la ligne de départ se présenta donc un tricar Austral de 1905 conduit par M. Gohier, qui aurait gagné l'épreuve, s'il n'avait pas participé hors classe! Moto Revue relate (Nº 289, 23/9/1928):
"Austral ! Hors classe ! Victoire en Démonstration parfaite, incontestée. Ce véhicule de 23 ans engagé en classement normal était le grand vainqueur: 0 point de pénalisation en Démonstration et 3 points seulement en Championnat ! Mais le règlement reste le règlement. Austral a fait la plus belle performance de la journée et a stupéfait les plus avisés. M. Cheilus lui-même reste surpris des chiffres qui, quoique officieux, sont éloquents. Et pourquoi ne pas allier au véhicule 1905 le conducteur Gohier, car ce n'est pas une sinécure de conduire sur 250 km. un 1905 à refroidissement par eau. Que de carnettes "d'eau fraîche" il dût adjoindre à une charge déjà exagérée."
Le retour de l'Austral au mototricycle, semble-t-il, est une réaction assez tardive à la demande croissante pour ce genre de véhicule.
Cette même année 1928, Austral engage en compétition un véhicule très insolite pour la marque. Il s'agit d'un cyclecar dénommé Z Austral à moteur LMP 350 cm³, avec lequel Chéret pulvérise quatre records de vitesse sur l'autodrome de Linas-Monthléry (26/8/1928) et gagne la médaille d'or dans la Coupe de l'Armistice (nov. 1928). Puisque l'Austral n'avait apparemment aucune intention de se lancer dans le marché du cyclecar, on se peut demander si cet engin n'a pas servi plutôt de véhicule d'essai pour le développement d'un trimoteur de conception classique avec avant-train et roue motrice arrière. D'une manière ou d'une autre, le triporteur qui finalement verra le jour, le type L1 (un type L proprement dit, peut-être à avant-train, ne fut apparemment pas homologué) abandonnera la conception de l'avant-train et de la roue arrière motrice, presque généralisée en France pendant les années vingt.
D'autres constructeurs français comme Galland, Villard ou Ninon faisaient de même à la fin de la décennie. Outre-Rhin, où le tri-moteur était toujours très populaire, on préférait depuis longtemps l'arrière-train, car cet arrangement évite que la hauteur de la caisse ne soit limitée par la visibilité du conducteur et que la charge n'alourdisse trop la direction.
Le nouveau triporteur ("tricar") Austral, homologué le 8 juillet 1929, dispose donc d'une roue avant directrice et de deux roues à l'arrière, dont l'une est motrice. Il ne s'agit pas d'un cyclecar industriel, mais d'un triporteur plus modeste. Le conducteur est pour le moins protégé par un pare-brise et une capote. Le châssis est en tôle emboutie, une technique également chère à l'école germanique. Comme on le voit sur les images ci-dessous, le type L Austral avec caisse en tôle ressemble beaucoup au triporteur DGW / DKW de 1926 (DGW est une "Ersatzmarke", c'est-à-dire une marque de remplacement, car DKW devait changer de nom à la suite d'un procès perdu contre les Deutsche Kabelwerke, qui utilisaient également les initiales DKW).
La principale différence entre les deux triporteurs porte sur la transmission. Sur la camionnette allemande, la roue avant est à la fois directrice et motrice, grâce à une fourche très robuste portant le moteur qui, à son tour, entraîne la roue par chaîne. Le triporteur Austral, par contre, est doté d'une fourche en parallélogramme réalisée en tôle emboutie avec un ressort unique central.
Le moteur est placé sous le siège conducteur et la transmission se fait par chaîne à la roue arrière droite, tandis que la roue gauche est folle pour épargner un différentiel, tout comme sur le Mototri Ninon (1928). La bonne tension de la chaîne est assurée par un pignon tendeur soumis à l'action d'un ressort (ci-contre).
Insolite est le guidon en tubes soudés accusant la forme d'un demi-volant qui rappelle le guidon-volant de la Monotrace de 1923 (cf camionnette type L2). Deux instruments ronds y sont fixés, probablement un compteur indicateur de vitesse et une montre ("le temps c'est de l'argent" affirme le catalogue Austral). Ce guidon-volant porte en outre les commandes de gaz et de l'avance à l'allumage, le commutateur de l'éclairage ainsi que le levier de frein (type L 1), qui actionne le frein avant à tambour de 200 mm par câble Bowden. Les freins arrière, également à tambour de 200 mm, sont actionnés par une pédale placée à droite du conducteur. Sur le type L 2, la pédale commande simultanément les freins sur les trois roues. De plus, il y a un frein de stationnement agissant sur les roues à l'arrière, commandé par un levier à main à sécteur, placé devant le conducteur. Les trois roues sont composées de pneumatiques à tringles de 24 x 4.00 sur jantes en tôle d'acier de base creuse. Une roue de secours était originalement fixée au côté gauche sur la partie latérale du banc du conducteur, mais elle sera vite transférée à un logement en arrière, sous la caisse (ci-dessous, à droite), pour que le conducteur puisse monter et descendre sur les deux côtés. Sur le côté droit du banc biplace du conducteur est monté le réservoir à essence.
Bloc-moteur Sturmey-Archer, 500 cm³. Nous remercions vivement Sylvain Petitet qui a partagé les photos de son moteur.
Le changement de vitesse à pignons baladeurs commandé par un levier à main est toujours à trois rapports. Une marche arrière, devenue plus ou moins la norme sur les trimoteurs de la concurrence, n'est pas mentionnée dans les fiches des Mines datant de 1929. En tout cas, son existence est attestée sur les triporteurs Austral munis du bloc-moteur Sturmey-Archer 500 cm³. L'embrayage à disques multiples de Ferodo (amiante) est commandé par une pédale à gauche du conducteur. La mise en marche du moteur s'effectue par un "kick-starter" placé sur la boîte de vitesses, lequel est actionné, quant à lui, par un levier à main à l'arrière du siège conducteur ("kick à la main").
Après l'arrêt de la production du moteur Sturmey-Archer en 1932, celui-ci est remplacé par un 500 cm³ (84 x 92 mm) bloc-moteur à soupapes latérales de marque inconnue. La boîte est à trois vitesses et l'embrayage à quatre disques métalliques (type L 2-2).
Châssis du triporteur type L1 avec bloc-moteur Moussard, selon le brevet du 16 juillet 1929
Châssis du triporteur Austral type L2 au Salon 1930
L'un des gérants des établissements "Au Chapeau Rouge" était Marcel Bourgain qui était aussi parmi les administrateurs de la
Société "Cycles Austral", nouvellement fondée en 1922, ainsi que de la "Société Nouvelle de Véhicules Industriels Austral"
en 1932. De plus il était en 1925 l'un des cofondateurs de "Lutèce Films", conjointement avec Édouard Cheilus.
Dans l'ensemble, le type L évoluera peu entre 1929 et 1934. Étant donné que l'éphémère type L 1 fut très vite abandonné, c'est avant tout le type L2 qui nous concerne ici. Les principales améliorations portent sur les différentes motorisations ainsi que sur la stabilité de la caisse en tôle. Pour le millésime 1930, le bloc-moteur Moussard deux-temps de 350 cm³ sera remplacé sur le modèle L2 par un bloc-moteur Sturmey-Archer de 500 cm³ à soupapes latérales.
Bloc-moteur Sturmey-Archer, 500 cm³. Nous remercions vivement Sylvain Petitet qui a partagé les photos de son moteur.
Le changement de vitesse à pignons baladeurs commandé par un levier à main est toujours à trois rapports. Une marche arrière, devenue plus ou moins la norme sur les trimoteurs de la concurrence, n'est pas mentionnée dans les fiches des Mines datant de 1929. En tout cas, son existence est attestée sur les triporteurs Austral munis du bloc-moteur Sturmey-Archer 500 cm³. L'embrayage à disques multiples de Ferodo (amiante) est commandé par une pédale à gauche du conducteur. La mise en marche du moteur s'effectue par un "kick-starter" placé sur la boîte de vitesses, lequel est actionné, quant à lui, par un levier à main à l'arrière du siège conducteur ("kick à la main").
Après l'arrêt de la production du moteur Sturmey-Archer en 1932, celui-ci est remplacé par un 500 cm³ (84 x 92 mm) bloc-moteur à soupapes latérales de marque inconnue. La boîte est à trois vitesses et l'embrayage à quatre disques métalliques (type L 2-2).
Châssis du triporteur type L1 avec bloc-moteur Moussard, selon le brevet du 16 juillet 1929
Le châssis est formé par deux longerons en tôle emboutie, qui portent en avant la douille de direction. Ils sont reliés entre eux par des entretoises transversales. La fusée de chacune des deux roues est fixée directement au longeron correspondant. Autant simple qu'ingénieuse, cette disposition a pourtant l'inconvénient de ne pas permettre une suspension du châssis. C'est donc uniquement la caisse qui est munie d'une suspension, brevetée par la marque. Sur ce châssis principal repose un châssis secondaire, à l'arrière par l'intermédiaire de deux demi-ressorts à lames, tandis qu'à l'avant il est articulé par une oreille à une oreille correspondante du longeron au moyen d'un boulon. De cette manière, la caisse montée sur ce châssis secondaire est suspendue, sans pouvoir se déplacer latéralement par rapport au châssis principal. Toutes les articulations sont montées sur silentbloc.
Châssis du triporteur Austral type L2 au Salon 1930
Étant très maniable, le triporteur est capable de tourner sur place dans un cercle de 2.25 mètres de rayon. La vitesse maximale en charge est de 55 kilomètres à l'heure, ce qui permet une vitesse moyenne commerciale de 35—40 kilomètres à l'heure. La consommation est de 4,5 litres environ au cent kilomètres.
Le prix d'un triporteur L 2 était de 9950 francs pour la version de base, pour l'éclairage électrique il fallait débourser un supplément de 650 francs.
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Le plus grand client de l'Austral était probablement la Société des Transports Rapides Calberson (à partir de août 1931: Société Nouvelle des Transports Rapides Calberson, aujourd'hui Geodis Calberson. Voir le livre "Le siècle Calberson 1904 - 2004", 2004). Créée en 1904 au Havre, Calberson s'était répandu jusqu'au début des années trente sur le grand quart nord-ouest de la France et disposait alors d'une flotte de véhicules industriels très diversifiée. La relation commerciale entre Calberson et Austral est peut-être aussi motivée par le fait que le réseau des agents Austral était relativement dense dans le nord-ouest.
Sur la photo, un triporteur Austral et un camion Unic sont stationnés devant l'agence Calberson de Rouen. On notera la roue de secours fixée au côté gauche et la capote repliable.
La même scène que l'on voit sur l'image ci-dessus, mais prise sous un angle différent, est immortalisée sur la superbe photo ci-dessous, aimablement mise à notre disposition par François-Marie Dumas, l'auteur du site web bien connu moto-collection.org. Un grand merci à lui!
D'une qualité exceptionnelle, cette image permet de découvrir quelques détails intéressants: en avant sur les longerons est fixée une housse imperméable qui protège les pieds du conducteur des intempéries et de la boue (on se trouve en février 1932). Sur le réservoir de gasoline est indiquée la charge utile de 400 kg ainsi que le poids mort de 450 kg. Par-dessus, on lit "tricar Austral". En outre, l'on distingue clairement la construction du guidon qui donne l'impression d'un demi-volant. La plupart des tricars sont équipés d'un tachymètre. Il y a du moins deux modèles différents dans la flotte de Calberson qui, à une charge utile égale, se distinguent par la hauteur de la caisse. La caisse plus basse laisse à la vue la partie supérieure en tôle du toit pliant pour le conducteur. (Pour la petite histoire, le numéro d'immatriculation 8527-RE6 du triporteur au premier plan, à gauche, fut attribué en février 1931 à Paris, alors que celui du tricar à droite, 1580-RE6, date du janvier 1931).
La plupart des clients d'Austral étaient de petites et moyennes entreprises comme la teinturerie "Au Chapeau Rouge" à Paris, beaucoup desquels étaient contraints de fermer ou de réduire leur personnel deux ans après le krach de Wall Street, quand la crise commerciale frappa durement la France.L'un des gérants des établissements "Au Chapeau Rouge" était Marcel Bourgain qui était aussi parmi les administrateurs de la
Société "Cycles Austral", nouvellement fondée en 1922, ainsi que de la "Société Nouvelle de Véhicules Industriels Austral"
en 1932. De plus il était en 1925 l'un des cofondateurs de "Lutèce Films", conjointement avec Édouard Cheilus.
Le fidèle lecteur qui est arrivé ici, en tant que spécialiste qu'il est maintenant en ce qui concerne les triporteurs Austral, trouvera facilement les petites erreurs qui se sont glissées dans le dessin de Thierry Dubois (100 ans de Calberson, 1904 - 2004).
Chapitre créé le 14 juillet 2017