La Nautilette
vélo nautique, bicyclette nautique, René Savard, Aimée Pfanner
Sommaire du chapitre: (cliquez sur les sections pour vous déplacer)
1. Historique de la Nautilette Austral
2. Les Nautilettes Austral conservées - Présentation et remarques techniques
Peugeot Maritime
La marque Austral ne se contentait pas de construire des tricycles, des motocyclettes et des bicyclettes, mais elle s'aventurait aussi dans le domaine de l'hydrocycle!
La Nautilette Austral se présente comme un cadre de bicyclette monté sur deux coques, dont la longueur varie en fonction du type. La propulsion était assurée grâce à l'énergie déployée par le cycliste qui actionne une hélice sous l'eau. L'appareil vire à l’aide d’un simple guidon.
Selon un document dans le Musée du Léman, trois modèles étaient proposés:
- le type "Standard", dont la longueur des flotteurs était de 4 mètres,
- le type "Traversée de la Manche", ayant une longueur de 4, 70 mètres, et
- le type "Tandem" à deux places, ayant une longueur de 5 mètres.
1. Historique de la Nautilette Austral
Le premier sportif qui employa une Nautilette fabriquée par la Société Austral à Puteaux pour relier Calais à Douvres, était René Savard (*11 août 1900, +19 janvier 1975) en 1927.
Mais au contraire de l'opinion générale, l'appareil n'avait pas été inventé par Savard, ni conçu à son instigation. En réalité, la Nautilette se fonde sur le brevet d'Alfred Cuisinet. De plus, Savard n'était même pas le tout premier qui avait traversé la Manche à bicyclette nautique! Bien qu'il se soit autoproclamé “champion de l'hydrocycle”, son record sera pulvérisé très bientôt.
Sur les flotteurs de son engin, une écriture frappante et bariolée "CYCLES AUSTRAL" ne laisse pas planer aucun doute sur la question qui en était le constructeur!
Après des essais abondants, René Savard prend la mer sur une Nautilette Austral le 17 novembre 1927 et parcourt la distance entre Calais et Douvres en un peu plus de six heures, escorté par un bateau de pêche à moteur. Les journaux dans le monde entier couvraient l'événement.
Au printemps 1929, René Savard confie sa Nautilette à la jeune Aimée Pfanner de 22 ans, qui deviendra ainsi la première femme à avoir traversé la Manche en pédalant.
Étant mannequin dans une maison de haute couture parisienne, Aimée sera abondamment photographiée:
le but en est visiblement de faire le maximum de publicité pour l'hydrocycle, afin de le vendre aux sportifs des deux sexes.
Partie de Calais le matin du 5 mai 1929, Aimée Pfanner lutte pendant des heures courageusement contre la houle et le vent, accompagnée par son entraîneur qui a pris place à bord d'un cotre. Elle atteint la côte anglaise dans le brouillard au bout de neuf heures et dix-neuf minutes totalement exténuée. (La Voix du Nord 5/5/1929)
Le dessin sur le verso du "Petit Journal Illustré" nº 2004, 1929, ci-contre, est une belle illustration de cette entreprise hasardeuse. (
agrandir le dessin.)
Pour voir deux vues cinématographiques contemporaines (1929) cliquez sur les imagettes:
Quelques semaines auparavant, le 17 avril 1929, Roger-Pierre-Arthur Vincent de Paris-Boulogne (ci-dessous) avait également traversé la Manche au guidon d'un hydrocycle, convoyé du bateau-pêcheur "Notre-Dame de Risban" de Calais. Malgré une panne – le câble de son gouvernail se rompit et il lui fallut de longues minutes pour réparer – il devint recordman en 5h 57min en battant le record établi par Savard (6h 6min). (Le Matin, 18/4/1929; Le Journal 18/4/1929). Peu après la liquidation judiciaire de son affaire d'hydrocycles, 28, rue de la Rochefoucauld à Boulogne-sur-Mer, le 16 avril 1930, Vincent annonce qu'il va tenter de traverser la Manche avec un nouvel appareil actionné par un moteur 6 CV. (Voir une photo de son hydroglisseur). La carte postale publicitaire ci-dessous nous donne une idée des types d'hydrocycles différents qui étaient à la vente chez Vincent.
Sur le dos de la photo ci-dessus on peut découvrir un abrégé de la traversée de la Manche au guidon de l'hydrocycle baptisé "Le Rêve". Roger Vincent raconte:
Une photo prise le 17/2/1929 lors d'une démonstration effectuée malgré le froid par Aimée Pfanner et Roger Vincent à Saint-Cloud montre le mannequin sur l'hydrocycle de Vincent.
Comme on peut le voir sur les photos, cet engin se différencie sur plusieurs points d'une Nautilette Austral. Du "V" du cadre central reste seulement le tube de selle, tandis que le tube oblique est absent. Le tube de selle est vissé sur la boîte d'entraînement au lieu d'être manchonné. Le guidon est fixe et pourvu de deux manettes semblables aux manettes de frein, qui actionnent le gouvernail au moyen de deux câbles. Celui-ci n'est pas situé sur un des flotteurs, comme d'habitude, mais il est fixé au centre de la traverse arrière reliant les flotteurs. C'est grâce à cette disposition du gouvernail proche de la selle que Vincent était dans la mesure de réparer le câble brisé lors de sa traversée de la Manche.
Malgré les différences constructives et le fait que Vincent gérait un atelier d'hydrocycles, Austral précisa que Vincent avait réalisé sa traversée de la Manche sur une Nautilette Austral (Le Journal 21/4/1929).
Les hydrocycles étaient à la mode dans les années 20 et 30, et des championnats se déroulaient sur les lacs et les rivières. La Fédération Hydrocycliste de France, avec siège à Nogent-sur-Marne, organisait une régate sur la Marne le 20 août 1929, dans laquelle René Savard fut battu par un concurrent, le cycliste Georges Gatier (ci-dessous).
Georges Gatier (1893-1955).
Il avait, lui aussi, l'intention de traverser la Manche en hydrocycle en 1929.
Entre-temps privé de son record de la Traversée de la Manche par Roger Vincent et vaincu par Gatier, Savard annonce un projet beaucoup plus ambitieux: un raid Paris-Londres en hydrocycle qui lui permettrait aussi de récupérer son record. (l'historique complet des exploits de Savard se trouve dans:
"René Savard - Mythe et Réalité").
(Agence Rol)
Sur plusieurs photos, prises le 9 août 1930 lors du départ du raid Paris-Londres à Courbevoie, René Savard prend congé de l'actrice populaire Mistinguett qui donnera le départ. Deux d'elles apparaissent sur des cartes postales innombrables ainsi que sur des billets publicitaires qui datent après 1931. Il existe en plus une très rare photo du même événement, prise depuis l'eau, sur laquelle on peut distinguer le nom de l'hydrocycle, "Perchicot":
Évidemment, parmi les sponsors se trouva le fabricant de valises "Malles Lord".
Remarquez également les manivelles courbes sur cette Nautilette (la seule qui les employait et cela peut-être non seulement pour des fins publicitaires). Brevetée par Léon Chandèze, cette invention avait pour but d'améliorer le rendement du pédalier en évitant le point mort que présentent les manivelles droites lorsqu'elles passent par la verticale menée par le centre du pédalier. L'emploi de ces manivelles sur la Nautilette est probablement motivée par une particularité de l'hydropède: "L'hydrocycle exige une cadence de jambes régulière. Celles-ci doivent tourner rond, du fait du point mort beaucoup plus sensible que sur une bicyclette terrestre" (Paris-Soir 29/10/1927). Apparemment, l'expérience n'était pas concluante, car Savard n'utilisera plus de manivelles courbes. En tout cas, c'était une belle publicité pour Chandèze, qui l'a exploitée sur des cartes postales vantant les avantages de ce pédalier en français et en anglais.
Le raid Paris-Londres en plusieurs étapes avait mené Savard jusqu'à Boulogne, où, le 18 septembre 1930, il prend la mer pour se rendre à Calais, malgré le mauvais temps. Il n'avait aucune intention de faire preuve que l’hydrocycle peut être un engin de sauvetage, comme l’évoque le Cahier du Musée de la Batellerie, p. 45 (voir liens). Au contraire: c’était Savard lui-même qui a manqué de se noyer et qui fut sauvé de peu. (Annales du Sauvetage).
Néanmoins, René Savard poursuit son raid à Calais et tentait sa deuxième traversée de la Manche le 5 novembre 1930, cette fois sans bateau convoyeur. Il se déclare recordman malgré le fait qu'il a dû abandonner à 3 kilomètres de la falaise de Douvres et fut recueilli par le bateau pilote de Douvres. Comme relate, entre autres, Le Figaro (7/11/1930), l'hydrocycle a été prise en remorque, mais la machine s'est brisée et est partie à la dérive.
Le raid Paris-Londres termina donc à trois kilomètres de Douvres.
Il ne manque pas d'une certaine ironie que l'homme qui promouvra plus tard l'hydrocycle comme un nouveau moyen de sauvetage (ci-dessous), s'est fait sauver lui-même avec son engin plusieurs fois.
La publicité pour la Nautilette Austral atteint son apogée à l'occasion des grandes fêtes nautiques, en été 1930, sur la Seine à Asnières et sur l’Oise à l'Isle-Adam. Tous les personnages étant liés à l’histoire de la Nautilette y participent:
Les deux articles de journaux ci-dessus, qui traitent des merveilleuses fêtes nautiques et du grand succès des Nautilettes Austral, font mention d’un tandem piloté par Aimée Pfanner et Mlle Pierrette Bouard (pas Rouard!) dans une course-exhibition contre René Savard et, une semaine plus tard, dans le défilé devant la tribune d'honneur, où le président de la République et ses ministres ont pris place. Leur engin admirable se trouve sur une photo de presse, ci-dessous, qui a été prise le 14 juillet 1930 selon une note au verso. Les jeunes femmes portent les maillots en couleur bleu ciel à fleurs, dont l'un desdites articles de journal fait mention.
En l’honneur de Mlle. Yvonne Tapponnier (à gauche), élue Miss Paris en février 1930, ledit tandem a été baptisé “Miss Paris”.
Mais au contraire de ce qu’on peut lire dans quelques journaux qui couvraient ces événements, la jeune femme sur la selle arrière n'est pas Miss Paris elle-même!
Non seulement sont les différences entre leurs visages parfaitement évidentes, mais aussi, selon une note sur le verso de la photo originale ci-dessus, la coéquipière d’Aimée Pfanner s’appelle Pierrette, et surtout les journaux nationaux (ci-dessus) ainsi que
la presse des autres pays voisins mentionnent son nom, Pierrette Bouard.
Le tandem se compose de trois triangles, entre lesquelles sont montés deux cadres de bicyclette homme. Le "guidon" du coéquipier est monté sur le tube de la selle avant. Le boîtier d'entraînement de l'hélice se trouve en arrière, fixé aux tubes du cadre de la même manière que sur une Nautilette monoplace. La seule différence est que ce pédalier-ci est muni d'un plateau qui est relié par une chaîne à un pédalier de bicyclette en avant. Ce dernier est situé un peu plus haut que celui d'arrière. Comme on le voit sur la photo, les pédales ne sont pas montées dans la même position. Le but en est d'éviter que les mouvements des cyclistes ne se déroulent parallèlement, afin de ne pas faire balancer le tandem.
Le succès de la Nautilette fut tel que Peugeot s'y intéressait et commercialisait dans sa gamme de production "Peugeot Maritime" une "bicyclette nautique type Austral". Voir plus loin dans le texte.
Ce type de bicyclettes aquatiques disparut un jour.... cependant, il restait toujours le plaisir et le souhait de pédaler sur l'eau. Considérez les Pédalos et les canots de constructions différentes; et aujourd'hui, des hydrocycles-catamaran sont commercialisés d'apparence et fonctionnement très similaire à la Nautilette Austral.
13 juillet 1930, fêtes nautiques à Asnières-Courbevoie:
des Nautilettes Austral, montées par des gymnastes, défilent devant la tribune d'honneur.
(Photographe: Henri Manuel) Voir la photo complète.
2. Les Nautilettes Austral conservées – Présentation et remarques techniques
À présent, on ne connaît que deux exemplaires de Nautilettes conservés qui ont été produites sans aucun doute entièrement par Cycles Austral dans l'usine à Puteaux. L'une d'elles est conservée dans le Musée du Léman à Nyon (Suisse), et l'autre dans le Musée de la Batellerie à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines).
De plus, deux Nautilettes sont conservées au Canada. Ces dernières, dont du moins la boîte d'entrainement et les flotteurs furent aussi produits par Cycles Austral, se différencient des Nautilettes fabriquées à Puteaux par la plaque de cadre "Peugeot Maritime" et la couleur verte olive, typique des vélos de la marque du lion.
Une autre Nautilette, dotée d'une boîte d'entraînement de l'hélice marquée "Nautilette Austral", mais dépourvue de ses plaques de cadre et de constructeur, a émergé en 2016 dans une vente aux enchères.
À cela s'ajoutent deux hydrocycles attribués au constructeur dijonnais Émile Humblot, qui, eux aussi, ressemblent beaucoup à une Nautilette Austral (
voir: Les antécédents de la Nautilette).
Commençons par la Nautilette au Musée de la Batellerie à Conflans-Sainte-Honorine. Elle a été donnée au musée par une famille canadienne (ci-dessous). La partie-cycle est originale, tandis que les flotteurs sont une réplique réalisée par l'atelier "Studio Chefson":
Les images suivantes de la Nautilette du Musée de la Batellerie permettent d'étudier de plus près la partie-cycle de l'appareil – c'est une tâche fort agréable pour moi de remercier Nicolas Mesnage (Joinville-Le-Pont), qui m'a fait parvenir ces photos.
L'ensemble se compose de deux triangles, entre lesquelles est monté le cadre central d'une bicyclette ayant une entretoise en U. C'est un cadre tubulaire qui est ouvert dans sa partie inférieure pour recevoir le boîtier d'entraînement de l'hélice à trois branches. Celui-ci doit donc contribuer à la rigidité du cadre. Comme d'habitude sur les vélos et les motos de la marque, les tubes qui constituent le cadre sont reliés par soudure autogène. Le tube oblique et le tube de selle sont manchonnés dans le carter du boîtier. Les manchons, dont les moitiés sont fixées par serrage autour de ces tubes, sont coulés avec les deux parties du carter, qui s'ouvrent dans le plan de joint vertical. À l'avant, le boîtier est relié au moyen de deux barres en Y à la traverse, qui, à son tour, est vissée sur les flotteurs.
agrandir
À l'arrière, l'autre traverse sert de support pour l'arbre entraînant l'hélice en bronze. Tous ces éléments sont vissés et facilement démontables en cas de réparation de la mécanique. Les semi-carters sont coulés en aluminium; le carter droit est estampé Nautilette Austral Modèle Déposé.
Un terminus post quem pour la datation de cette Nautilette nous donnent les flotteurs originaux de cet appareil qui ont servi de modèle pour les répliques réalisées par Christophe Dirlik. Ces flotteurs, qui sont reproduits dans le cahier du Musé de la Batellerie Nº 71, p. 37 et verso, sont déjà une version améliorée selon un brevet de la marque. Étant donné que ce brevet fut déposé le 18 décembre 1929, cette Nautilette a été fabriquée au plus tôt en 1930.
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Plus complètement conservée est la Nautilette au Musée du Léman, qui a préservé encore ses flotteurs originaux avec la plaque de constructeur. La plaque de cadre fixée sur la tube de direction est également conservée. Selon la documentation qui l'accompagne, cette Nautilette a été importée en 1930 par Maurice Bossard, agent général pour la Suisse à Montalègre. (
Vers le site Web du Musée du Léman). Elle a été rénovée dans l'atelier de restauration de
Jean-Philippe Mayerat, à Rolle.
Des Nautilettes sur le lac Léman .... hier et aujourd'hui
M. Mayerat pose fièrement sur la Nautilette qu'il a restaurée
Les photos qui suivent permettent d'étudier de près cette Nautilette et ses flotteurs. Je tiens à remercier cordialement le Musée du Léman et son conservateur, M. Lionel Gauthier, pour l'autorisation de les publier ici.
Selon sa plaque de constructeur, il s'agit d'un modèle Standard, série B, numéro 776. La longueur hors-tout est de 4 m et la largeur hors-tout de 1,12 m. L'appareil est équipé de deux flotteurs en acajou, avec système de vidange breveté par la marque le 18 décembre 1929. On peut supposer que la désignation "série B" fait référence à un modèle doté de ces nouveaux flotteurs. Dans ce cas, la Nautilette du musée de la Batellerie serait également une série B. Le tout pèse 80 kg.
Les flotteurs sont faits en acajou d'Afrique (Khaya ivorensis) provenant de la côte ouest, un proche parent botanique de l'acajou américain (Swietenia macrophylla). Ce bois d'une couleur brun rougeâtre et d'un grain fin est utilisé entre autres pour la construction de bateaux de sport en raison de sa durabilité, sa résistance aux intempéries et son usinabilité. Un autre avantage important dans notre contexte est le fait qu'il se cloue et se visse aisément, sans se fendre. Comme on le voit sur la photo, les planches qui constituent les flotteurs sont assemblées par un grand nombre de vis et de clous.
À cause du fait que la face inférieure des flotteurs est plate (ci-dessus), les planches constituant la coque sont au nombre de quatre: deux planches latérales, une planche de fond et une planche de couverte en une ou deux parties. Leur épaisseur est de 7 millimètres (selon le Cahier du Musée de la Batellerie Nº 71, p. 37).
Des indications plus précises sur la construction des flotteurs nous donne le brevet déposé par Cycles Austral le 18 décembre 1929 (voir plus loin dans le texte). Ce dernier résout quelques problèmes concernant la maintenance des coques qui compliquaient encore l'utilisation pratique de l'appareil. Les améliorations apportées aux flotteurs concernent deux points: faciliter le démontage de la coque et faciliter le vidange de l'eau pénétrée dans le flotteur. Jusqu'à l'introduction de ces améliorations, le bouchon de vidange était placé soit dans le pont – ce qui faisait nécessaire de retourner le flotteur pour le vider – soit sous la partie inférieure de la coque, où il risquait de s'arracher au moment de l'atterrissage de l'appareil.
Pour éviter ces inconvénients, le bouchon était dorénavant placé sur le côté et à la partie avant du flotteur (ci-dessus, flèche). De cette manière, il suffit d'incliner légèrement l'appareil vers l'avant pour faire écouler l'eau.
Afin d'éviter le démontage complet de la coque et l'endommagement des planches provoqué par cette opération, il suffit désormais en cas de réparation des crevasses et de calfeutrage de dévisser le pont du flotteur pour accéder à l'intérieur. Étant donné la faible épaisseur des planches latérales, le brevet prévoit tout autour du bord de la coque une sorte d'encadrement (ci-dessous, fig. 2, 13) cloué, sur lequel le pont peut être vissé. Sur la photo (ci-dessus), on reconnaît la rangée de clous qui attachent l'encadrement à la planche latérale, ainsi que les vis qui fixent le pont à cet encadrement.
Brevet Cycles Austral, 1929.
On notera que le dessin (ci-dessus, fig. 2) montre un flotteur ayant une coupe transversale en forme d'un "V" arrondi. La question reste en suspens si le flotteur à fond plat représente une évolution du flotteur en "V", introduite en 1930, ou si cette forme est uniquement caractéristique du type "Standard".
La fixation de la planche de fond s'effectue apparemment au moyen d'une rangée de clous le long du bord inférieur de la planche latérale. La poupe est constituée par un bloc de bois arrondi.
La photo ci-dessus montre en outre le gouvernail ayant un profil traditionnel en forme de goutte. Pour le démonter, il suffit de décrocher les câbles métalliques, d'enlever la goupille fendue et de tirer le gouvernail vers le bas.
Devant le gouvernail est fixée une dérive en forme d'une cale allongée, un détail qui se trouve déjà dans le brevet d'Alfred Cuisinet (ci-dessous, D)
Également décrite dans ce brevet est la division des flotteurs en sept compartiments (les cloisons sont visibles sur les photos dans le Cahier du Musée de la Batellerie Nº 71, p. 37 et verso).
Le cadre est identique à celui de l'appareil dans le musée de la Batellerie, à un détail près: sur le triangle arrière, près de la selle, est vissé un petit tube transversal avec porte-drapeau, un accessoire sans doute populaire à l'époque. Sur le tube de selle est soudé un guide en forme d'un petit crochet pour maintenir en place les câbles métalliques du gouvernail. La photo montre le semi-carter gauche du boîtier d'entraînement de l'hélice, qui porte deux plaquettes vides au lieu de la gravure "Modèle déposé" lisible sur le carter droit. Sous la plaquette à droite, près de la tulipe d'entrée de l'arbre d'entraînement de l'hélice, on remarque un trou fermé par une vis abimée. Étant positionné trop haut pour être un bouchon d'inspection de niveau d'huile, cette vis sert probablement à vérifier la présence de la graisse sur le couple conique et à lubrifier, le cas échéant, directement le couple conique.
Car l'absence d'un bouchon de vidange sur la photo qui montre la face inférieure du carter laisse supposer que le couple conique, à la différence du boîtier breveté par Alfred Cuisinet, ne tournait pas dans un bain d'huile. Compte tenu des problèmes d'étanchéité que posaient les joints anciens en papier ou en liège et compte tenu de la faible pression entre les flancs de dents et de la vitesse de rotation modeste de l'engrenage, le fabricant a peut-être opté pour une lubrification à vie avec de la graisse permanente.
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L'hydrocycle bleu sur les deux photos ci-dessous a émergé dans une vente aux enchères en juillet 2016. Son cadre est dépourvu de la marque de fabrique ainsi que de tout type de décoration. Il faut par conséquent s'attendre à ce qu'il ne s'agit pas d'une "vraie" Nautilette Austral, mais d'une nautilette du type Austral, produit par un autre constructeur. De fabrication inconnue sont en tout cas les flotteurs très courts, pourvus en plus d'une proue de kayak.
Comme on peut s'en aperçoir, le tube oblique du cadre n'est pas droit, mais courbe, tout comme sur la Nautilette de Savard sur la foto avec Mistinguett et sur le cadre arrière du tandem de Pfanner et Bouard (voir plus haut dans le texte). La raison en est la position invariable des manchons coulés en une seule pièce avec le carter du boîtier. La méthode la plus simple d'adapter ce dernier à des cadres de hauteur et de longueur différents par rapport à un cadre "standard", est de courber plus ou moins le tube oblique, afin que son extrémité inférieure puisse glisser au bon angle dans le manchon du boîtier. Les deux tubes vissés sur le tube de direction, qui relient ce dernier à la traverse qui repose sur les flotteurs, sont renforcés par un acier plat, qui est absent sur les cadres de fabrication Austral.
La photo ci-dessus montre le carter gauche qui porte l'écriture "Nautilette Austral" habituelle, mais au lieu de la gravure "Modèle Déposé" qui se trouve sur le carter droit, il y a deux plaquettes vides. À côté de la tulipe d'entrée de l'arbre entraînant l'hélice est visible une vis ayant une fente dans la tête pour un tournevis et qui est sécurisée par contre-écrou. À en juger par son apparence, on dirait que c'est une vis de réglage, mais à quoi sert-elle? Car le réglage d'un couple conique se fait ordinairement au moyen de rondelles de calage. Cette vis n'est peut-être pas d'origine et elle a remplacé un bouchon pour vérifier la présence de la graisse sur le couple conique.
Les photos ci-dessous représentent les deux côtés de la boîte d'entraînement de l'hélice: le carter gauche de la Nautilette vendue aux enchères (ci-dessous, à gauche) et le carter droit de la Nautilette dans le Musée de la Batellerie (à droite).
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En octobre 1923 arrive chez Peugeot l'industriel Lucien Rosengart (1871 – 1927) qui apporte la somme de 5 millions de francs, nécessaire pour compenser le déficit accumulé par la marque et pour restructurer les usines Peugeot. Nommé aussitôt administrateur délégué, Rosengart exerce une grande influence sur Robert Peugeot. Sous son égide, Peugeot se lance dans la construction des véhicules nautiques. Déjà en octobre 1926, une nouvelle filiale de la maison, Peugeot Maritime, expose au Salon nautique de Paris une gamme complète de canots automobiles ainsi que des groupes de moteurs marins et des bicyclettes nautiques.
L'entrée au Salon nautique 1926 et le stand de Peugeot Maritime
Le 28 décembre 1927, la filiale Peugeot Maritime se constitue comme société anonyme au capital de 100.000 frs. avec siège social au 30, Av. des Champs-Élysées, à Paris. Mais la nouvelle société ne saura prospérer; Peugeot Maritime ne vendra que dix canots durant toute son existence !
Comme l'affirme la publicité Peugeot, ses bicyclettes nautiques étaient des hydrocycles du "type Austral". Pour déterminer ce qui signifie cette expression imprécise, nous examinons les deux Nautilettes Peugeot conservées au Canada.
Nautilette type ST série B, plaque de constructeur nº 642 sur le flotteur, plaque de cadre "Peugeot maritime". Canada.
Les photos de la Nautilette verte olive au Canada montrent clairement que l'hydrocycle commercialisé par Peugeot est en réalité une Nautilette Austral, produite par la marque de Puteaux, et non une fabrication sous licence par Peugeot. L'un des flotteurs porte la plaque de constructeur Austral avec le numéro de production 642 et les lettres "ST" pour désigner qu'il s'agit d'une Nautilette type Standard, dont la longueur des flotteurs était de 4 mètres.
De plus, la boîte d'entraînement de l'hélice est marquée "Nautilette Austral modèle déposé", tout comme sur les boîtes des Nautilettes Austral.
Également de forme identique sont le cadre vélo et le guidon. Les seules différences visibles concernent la plaque signée Peugeot Maritime sur le tube de direction et la couleur verte olive du cadre que l'on trouve aussi sur beaucoup de cadres de vélos Peugeot. Force est de constater pourtant que le cadre a été repeint d'une manière pas trop soignée; la couleur n'est donc pas significative, à moins que le peintre ait respecté la teinte d'origine (en tout cas, les manivelles et le guidon, également couverts de peinture olive, étaient nickelés ou chromés à l'origine).
Tout indique qu'Austral fournissait des Nautilettes entières à Peugeot, qui à son tour se limitait à fixer sa plaque vélo sur le tube de direction. Il s'agit d'une plaque en tôle de couleur bleu foncé montrant un ancre à jas et le logotype Peugeot Maritime en lettres dorées.
La deuxième Nautilette au Canada, de couleur cuivrée, a aussi un carter marqué "Nautilette Austral" ainsi qu'une plaque de cadre "Peugeot Maritime". Elle porte le numéro de fabrication 636. Ci-dessous quelques photos datant de 2019, prises par Rob Bombardier.
Nautilette Austral marquée Peugeot Maritime à Drummondville, Canada. Plaque de constructeur nº 636.
Quant à la date de fabrication de ces deux Nautilettes au Canada, c'est le numéro de production 776 de la Nautilette au Musée du Léman qui fournit une indication, car on sait avec certitude que cet exemplaire date de 1930. En outre, les plaques de constructeur des deux Nautilettes canadiennes portent également la mention "série B", et les hydrocycles disposent des flotteurs améliorés par un nouveau système de vidange selon le brevet Austral du 18 décembre 1929. Les numéros de production 636 et 642 correspondent donc probablement a une date de fabrication fin 1929 ou début 1930.
Chapitre créé le 25 janvier 2014.
La partie sur la Nautilette au Musée du Léman ajoutée le 3 juillet 2017.