Essieu avant et direction
Tous les tricars Austral sont munis d'une direction à fusée, selon le principe Ackermann-Jeantaud. Cela veut dire que les deux roues de l'essieu directeur sont orientables de sorte que pour toutes les positions du braquage l'intersection des deux fusées doit toujours se trouver sur la prolongation de la ligne reliant les deux points de contact des roues arrières avec le sol – au cas d'un tricar, naturellement, la seule roue motrice se trouve au centre de cette ligne définie par les deux roues d'une voiture. On traçait le quadrilatère de telle façon que les bras Aa et Bb se coupent, dans la position de marche en ligne droite, au milieu O de l'essieu arrière (aujourd'hui, on déplace l'intersection un peu en avant de l'essieu à cause des angles de braquage plus grands, ci-dessus à droite). La direction ainsi obtenue est satisfaisante jusqu'à un angle de braquage de 30º environ, amplement suffisant pour un tricar, dont les pneus viennent vite toucher le châssis ou le siège du passager.
La direction à fusée fut imaginée en 1816 pour des voitures à chevaux par un carrossier bavarois, Georg Lankensperger, et breveté en 1818 à Londres par l'agent de celui-ci, Rudolph Ackermann ("Ackerman steering principle"). En 1878, ce principe fut appliqué théoriquement aux voitures mécaniques par Charles Jeantaud, qui déplaçait l'intersection des prolongations des axes des fusées sur l'essieu arrière (épure Jeantaud).
Essieux et fusées
Malheureusement, les descriptions pour les Services des Mines n'apportent aucun renseignement concernant les essieux et leurs fusées. Puisque la direction des tricars est aussi simple que possible, il en sera de même pour les essieux. L'aperçu ci-dessous regroupe donc seulement des essieux pas trop sophistiqués.
1. À cheville renversée ou à pivot inférieur (ci-dessus, à gauche): la cheville C est dirigée vers le bas, faisant corps avec l'essieu. La douille est reliée à la fusée et contient un bain d'huile.
2. À cheville verticale ou à pivot supérieur (ci-dessus, à droite et ci-dessous): parfois nommé aussi essieu à double bain d'huile. C'est l'inverse du précédent, mais cette fois-ci, la fusée est venue de la forge avec la cheville verticale C. D'autre part, l'essieu est terminé par une douille D qui vient emboîter la cheville. Le pivotement est plus doux que dans le modèle précédent et le châssis se place à une hauteur inférieure du sol. De plus, le porte-à-faux (déport) est également beaucoup plus réduit (voir plus bas, "Carrossage").
C'était le modèle courant avant 1905 qui fut très probablement employé aussi sur le Tri-balladeur d'Albert Jean.
Ces deux systèmes furent abandonnés l'un après l'autre jusqu'en 1905 environ à cause des ruptures fréquentes entre l'essieu et la cheville/douille.
3. essieux à fourche ou à chape:
a. Essieu à chape mobile: l'essieu est terminé par une douille H et la fusée F porte la fourche C.
b. Essieu à chape fixe (chape ouverte): c'est l'essieu qui porte la fourche GC entre les mâchoires de laquelle tourne une douille venue de forge avec la fusée F. Un boulon traverse à la fois la douille et la fourche. Ordinairement, ce dernier pivote dans des bagues en bronze. Leur prix peu élevé recommandait l'usage de ces essieux pour des voiturettes légères et les tricars.
En regardant les détails du tricar type A présentés ci-dessus, on voit que, en effet, son essieu est à chape fixe, avec boulon d'articulation. (Voir aussi l'essieu à chape fixe du tricar Contal plus loin dans le texte).
Carrossage
Pour compléter, il faudra mentionner aussi le carrossage (ou devers), c'est-à-dire l'inclinaison que l'on donne à une roue par rapport à la verticale. Le carrossage est positif quand la base de la roue entre vers le véhicule. Les carrossiers donnaient un carrossage prononcé aux roues des carrosses pour éviter que la roue se déplace vers l'extérieur et, en transmettant sa force de rotation à l'écrou et sa goupille (ou au contre-écrou), finisse par s'échapper. Grâce à l'inclinaison de la fusée, la roue est maintenue contre la butée de celle-ci et le joint en cuir qui évite la fuite de l'huile lubrifiante.
La cause dudit déplacement de la roue est le porte-à-faux de la roue par rapport à la caisse et la charge que celle-ci exerce sur celle-là. Pour diminuer ce déport (comme on dit aujourd'hui), il faut incliner la fusée vers le bas.
Dans le cas d'une automobile, le déport est l'écart au sol entre l'axe du pivot de la fusée et l'axe de la roue. Sur les exemples des fusées considérées jusqu'alors, le boulon autour duquel pivote la fusée se trouve en position verticale et la fusée est inclinée pour obtenir le carrossage. Or, les roues à rayons de fil d'acier ne se prêtent guère au carrossage, parce que, dès que la roue n'est plus verticale, il y a des rayons qui d'un côté de la roue travaillent plus que ceux placés de l'autre côté, au risque de ruptures. En outre, le carrossage produit une usure du pneumatique du côté de son inclinaison sur la bande du roulement. Pour diminuer le déport et ainsi le carrossage, on utilisait déjà à l'époque sur les voitures plus lourdes des chapes inclinées (en haut, à droite). Pour supporter la charge et éviter le coincement, celles-ci étaient munies d'une rangée de billes à chaque branche de la chape.
Voici quelques photos – il n'en existe que quelques-unes –, montrant des tricars de course "en action", et sur lesquelles on peut observer de différents angles de carrossage, souvent même négatifs. On remarque aussi le facteur le plus important qui était à l'origine des angles de carrossage positifs plus grands des véhicules anciens: le bombement des routes.
Sur le tricar La Française piloté par Bonnevie, à gauche, le carrossage est positif, tandis que sur le tricar à droite il est négatif. Dans les deux cas, l'essieu est droit et à chape fixe (chape ouverte), c'est la solution la plus répandue qui fut retenue aussi par Austral. Le carrossage est également négatif sur les tricars Austral qui ont gagné le Tour de France en 1906 (ci-dessous). Une raison en est sans doute le souci d'obtenir une meilleure adhérence des pneus dans les virages rapides (pour une autre raison, voir plus loin dans le texte, "pincement").
Cette photo, prise à Mantes en 1905, montre le bombement de la route. Sur les deux tricars à gauche, le carrossage est faible ou inexistant; celui des roues du tricar garé à droite - visible malgré la présence de garde-boue, semble être negatif.
Immortalisé par Jules Beau lors de la course St. Germain-en-Laye — Mantes le 10 septembre 1905, le Mototri Contal piloté par Gaston Rivierre est en train de faire demi-tour. On remarquera l'angle de braquage assez faible.
Sur les voitures et voiturettes, les essieux sont fortement coudés pour surbaisser les patins sur lesquelles les ressorts sont fixés et, par conséquent, la carrosserie par rapport aux roues. La hauteur du châssis d'un tricar, par contre, est déterminée par celle du moyeu de la roue arrière non suspendue et par la garde au sol nécessaire du repose-pied du siège du passager. Au lieu de courber l'essieu avant, il suffit ici, si besoin en est, de déplacer le centre de la chape vers le haut (ci-dessous).
Une autre question concerne les moyeux: étaient-ils à "frottement lisse" ou à roulements à billes?
Autour de l'an 1905, presque tous les constructeurs employaient encore, surtout sur les voiturettes légères, les essieux à fusées lisses. Le moyeu de la roue tournait directement sur le porte-fusée en fer à grains, cémenté et trempé. Pour diminuer le frottement autant que possible, la superficie était soigneusement polie. À cette époque, grâce aux progrès dans la fabrication des roulements résistants, il y avait la tendance sur les voitures plus rapides de remplacer les moyeux lisses par des moyeux munis de roulements à billes, ayant un rendement supérieur de 8 à 10 %. En revanche, le coussinet lisse était moins lourd et moins cher qu'un roulement à billes. On trouve donc encore sur le mototri Contal en 1907 des roulements lisses sur bronze phosphoreux (voir photo plus haut), tandis que le tricar La Française ou la trivoiturette Bruneau étaient munis de roulements à billes.
La direction
À l'exception du type G, la direction des tricars Austral "s'obtient par un guidon actionnant une bielle qui commande directement, par une tige munie de deux joints de cardan, les roues directrices" (Description pour les Services des Mines).
La commande directe, appelée "à sonnette" autrefois, est la plus simple. Elle se compose uniquement de tiges articulées.
L'image ci-dessus à gauche donne le schéma d'une commande à sonnette, adaptée à un quadrilatère articulé aABb. Au levier Aa est fixé le bras AF auquel est articulé le tirant FH commandé par la colonne de direction M. Le dessin à droite donne un autre exemple de ce type de commande qui met en évidence la réalisation de la déformabilité nécessaire du mécanisme. Le tirant FH se termine par deux articulations à chacune de ses extrémités – c'est "la tige munie de deux joints de cardan" citée plus haut. Ainsi en H se trouvent les deux articulations H et H' à axes perpendiculaires. Les articulations H' et P permettent au point H de suivre le mouvement du châssis, de monter ou de descendre. Dans le cas du Tri-balladeur, dont le châssis n'était pas suspendu, la tige n'était pas pourvue de joints de cardan.
Le dessin du châssis du "tricar à cardan" nous montre le mécanisme réalisé par Austral:
Le quadrilatère est formé par les deux bras venus de la forge avec les fusées et la barre articulée aux deux extrémités qui les relie l'une à l'autre de sorte que le mouvement de la fusée gauche se transmette à la fusée droite. La fusée gauche porte un autre bras à l'avant qui la relie au moyen d'une tige à la bielle transmettant la rotation de la colonne de direction. Les deux joints de cardan qui se trouvent aux deux extrémités de ladite tige garantissent les déplacements relatifs de l'essieu par rapport au châssis et sa colonne de direction. La démultiplication n'est obtenue que par le rapport de la bielle de commande et le bras de la fusée qui transmet le mouvement au moyen de la barre transversale à l'autre fusée. (Par démultiplication on entend le rapport de la course angulaire du volant à celle des roues, compris entre 6,5 et 7,5 à l'époque sur les voitures ayant une boîte de direction).
D'une extrême simplicité, la commande directe a pourtant de grands inconvénients. Elle est trop brutale, pas assez démultipliée et rend le véhicule difficile à conduire. Un autre défaut est le manque d'irréversibilité, parce que tout choc sur l'une des deux roues directrices fait tourner les roues et modifie la direction si le conducteur ne tient pas le guidon d'une main très ferme. On a donc vite abandonné la commande directe sur les voiturettes en faveur d'une commande par boîte de direction qui permet une démultiplication importante. Pourtant, la commande à sonnette est justifiée ici compte tenu de l'impossibilité d'équiper d'une direction démultipliée un tricar ayant un cadre de motocyclette. Dans ce cas, la commande de direction doit être impérativement directe à cause du mouvement de rotation très limité du guidon.
Le pincement, c'est-à-dire la tendance des plans des roues de se croiser devant le train roulant, était déjà connu à l'époque et appliqué sur quelques voitures. Celui-ci compense le jeu des articulations et l'ouverture des roues avant, qui sont "tirés à l'arrière" lors des accélérations et freinages. Sur nos tricars, semble-t-il, la longueur de la tige reliant les fusées n'est pas réglable pour donner du pincement aux roues. Son absence est compensée par le carrossage négatif visible sur les roues des tricars Austral qui provoque que celles-ci ont tendance à converger vers l'avant.
Type G
L'abandon du châssis-cadre des modèles précédents en faveur d'une carrosserie de voiturette rend nécessaire une direction à volant, ce qui entraîne l'adaptation d'une boîte de direction.
Sur le type G, la direction "s'obtient par un volant et une vis sans fin actionnant une bielle qui commande directement les roues directrices par une tige munie de deux joints de cardan" (feuille des Mines). C'est donc seulement la boîte à vis sans fin qui doit nous occuper ici, car le quadrilatère reste apparemment inchangé.
Montée depuis 1895 sur les voitures Panhard & Levassor, la direction à démultiplication par vis sans fin était la plus répandue à l'époque: une vis sans fin fixée à la colonne de direction commande un secteur denté S portant le levier de commande; quelquefois celui-ci est fixé sur le même axe que le secteur. La rotation de la vis sans fin déplace le secteur en donnant au levier de commande un mouvement linéaire. La démultiplication était de l'ordre de 1:5 à 1:8.
Logée dans un carter étanche, la vis sans fin travaille dans un bain d'huile (ci-dessous, boîte de direction Malicet et Blin).
La description pour les Services des Mines citée plus haut ne fait pas mention d'un dispositif tout à fait indispensable pour protéger la vis des percussions produites par les chocs sur les roues, transmises intégralement à la vis. Il s'agit d'une espèce d'amortisseur que l'on place d'ordinaire dans les joints qui forment les bouts du tirant.
Le dessin ci-dessus montre les détails de cet amortisseur (si vous envisagez de rénover les biellettes de direction de votre "deuche", regardez bien, le principe est toujours le même): la rotule qui termine le levier de commande vient de s'insérer en m entre deux petites mâchoires placées entre deux ressorts à boudins d'une force de 120 kilogrammes. Lorsque le chapeau a est vissé à sa place C et que la goupille b est fixée, la rotule se trouve prisonnière dans un logement qui balance entre deux ressorts. De cette façon, non seulement la vis sans fin est protégée des chocs, mais en plus, la direction résulte irréversible, parce que les réactions qui subissent les roues sont atténuées par les ressorts et ne peuvent pas faire dévier le volant.
Kit de rénovation des biellettes de direction, Citroën 2CV.