L'Alimentation - Le carburateur Vaurs
Sur les tricars Austral le système d'alimentation est composé d'un réservoir d'essence avec un robinet d'arrêt à l'origine de la tuyauterie qui relie le réservoir à un carburateur Vaurs, lequel est suspendu à un gros tube d'admission dont l'autre extrémité est vissée sur la pipe d'admission de la culasse. Le réservoir peut contenir 6 litres d'essence dont la densité convenable devrait être moyenne, de 680º à 700º, c'est-à-dire qu'un litre de bonne qualité devrait peser entre 680 et 700 grammes. Par comparaison, l'essence moderne est moins volatile, ayant un poids de 720 à 780 grammes par litre à 15 ºC.
La tâche du carburateur est de préparer un mélange composé d'un comburant, l'air, et d'un combustible, dérivé du pétrole. La proportion air/essence doit être constante quel que soit le régime du moteur et la pulvérisation homogène.
Nous nous occuperons ici seulement des carburateurs à pulverisation et à niveau constant, qui à l'aube du XXe siècle remplacèrent les carburateurs à léchage et à barbotage.
Un carburateur de ce genre comprend deux parties essentielles: un réservoir d'essence (cuve) renfermant un flotteur qui maintient un niveau constant de celle-ci et la tubulure ou chambre de mélange avec un diffuseur (tube Venturi) et un gicleur. La cuve à niveau constant communique dans sa partie inférieure, par le conduit (7), avec le gicleur (8) formé d'un tube ou ajutage de faible section par lequel l'essence s'écoule dans la chambre de mélange (9) dans l'axe de laquelle est monté le gicleur. La section du diffuseur est déterminée de manière à former un étranglement au niveau du gicleur. L'air aspiré par la course descendante du piston rencontre la partie étranglée (10) et sa vitesse s'y trouve accrue, précisément autour de l'orifice du gicleur. La succession opérée sur cet orifice provoque que l'essence s'échappe. En raison même de la vitesse du courant à ce point, celle-ci est pulvérisée, d'autant plus finement que le courant d'air est plus violent.
Dans beaucoup de carburateurs anciens se trouve, à une légère distance au-dessus de l'orifice du gicleur, un "champignon" (voir dessin ci-contre). Ce dernier est une pièce métallique cannelée ou striée en forme de cône très largement aplati, qui a pour but d'étaler en lame mince l'essence jaillissante et de faciliter son mélange intime avec l'air se trouvant dans la chambre de pulvérisation.
Il est évident qu'un carburateur aussi rudimentaire, s'il est réglé pour la marche normale du moteur, donne aux basses allures et au moment de la mise en marche un mélange trop pauvre. Si, par contre, on augmente par exemple le diamètre du gicleur pour obtenir un mélange assez riche pour que la mise en marche du moteur soit facile, la carburation est mauvaise lorsque le moteur tourne vite. On a remédié à ces défauts en prévoyant des dispositifs, soit pour faire varier le débit de l'essence en fonction de la vitesse du moteur, soit pour modifier la quantité d'air admise aux diverses allures, soit pour combiner ces deux modes de réglage.
Avant que cette dernière solution ne se soit imposée, le conducteur disposait ordinairement de deux manettes placées à la portée de sa main, l'une d'air et l'autre de gaz, c'est-à-dire de l'air carburé, pour chercher un réglage qui convenait le mieux (à gauche, agrandir ). Au moyen de la première il réglait l'entrée de l'air extérieur dans la chambre de mélange du carburateur, pendant que la dernière lui permettait de régler l'admission du mélange formé (gaz) au moteur. Mais ce n'était pas tout, il fallait aussi régler l'avance à l'allumage (vitesse) par une troisième manette et chaque changement de position de l'une des manettes nécessitait un déplacement des deux autres manettes. Sur route libre, en partant de la position de pleine admission, les deux manettes de carburation déplacées en avant, le conducteur accélérait en avançant l'allumage jusqu'à ce qu'il ait obtenu la vitesse souhaitée et ensuite il réduisait progressivement l'admission de l'air dans le carburateur au nécessaire et puis l'admission de mélange au moteur. Si le réglage était bon, on en avait la preuve en donnant un peu plus d'avance à l'allumage: il ne devait pas se produire d'accélération de vitesse, ou bien c'était que la manette de gaz n'etait pas encore assez fermée.
Afin de simplifier cette tâche compliquée et ennuyeuse, les constructeurs cherchaient à réaliser un réglage automatique qui permettait de se débarrasser d'une des manettes de carburation et de faciliter une admission plus progressive. En 1902 apparut le premier carburateur automatique (ci-contre. agrandir) dans lequel le mélange air/essence reste constant à tous les régimes et le chauffeur agit uniquement sur l'admission du mélange gazeux. Ce carburateur inventé par Arthur Krebs possède une entrée d'air principale à ouverture constante et une entrée d'air additionnel dont l'ouverture est commandée par un piston, lui-même dépendant de la dépression dans le carburateur et régulé par un ressort et une membrane en caoutchouc.
Le carburateur Vaurs
Le brevet de 1902
Une voie différente de celle d'Arthur Krebs suivit Baptiste Vaurs. Le 7 août 1902, il déposa en Belgique un brevet concernant le réglage d'un carburateur à pulvérisation quelconque au moyen d'une seule manette agissant sur l'admission de l'air (vous en trouvez le brevet anglais Nº 17, 903 ainsi que le brevet français Nº 334.432 ici ). Ladite manette est solidaire d'une bague à double réglage permettant de varier la carburation en agissant simultanément sur des ouvertures d'air disposées les unes en avant, les autres en arrière de l'ajutage à pulvérisation.
Fig. 1: vue partiellement en coupe longitudinale du dispositif de réglage appliqué à un carburateur à pulvérisation à niveau constant à flotteur.
Fig. 2: coupe longitudinale du dispositif de réglage appliqué à un carburateur à pulvérisation en charge toujours pleine (sans flotteur).
Les lettres signifient: (a) ajutage de pulvérisation (b) tubulure, (e) raccord reliant la tubulure (b) au tuyau d'admission (f) au moyen de l'écrou (g), (c) deux ouvertures de la tubulure (b) pour l'admission de l'air carburé, (d) ouverture qui constitue l'unique orifice d'admission de l'air pur avant de l'ajutage, (r, fig. 2) champignon en toile métallique.
L'inventeur constate en outre que l'organe à double réglage peut affecter toute forme constructive, par exemple un plateau ou disque à manette au lieu d'une bague. De plus, il se réserve de disposer sur l'organe de réglage une chemise protectrice pour empêcher les poussières de pénétrer dans le carburateur (fig.5).
L'organe de réglage est une bague (i) à deux diamètres sur laquelle sont ménagées deux ouvertures (k) et une ouverture (j) pour régler l'orifice (d). Cette ouverture (j) est de la même grandeur que l'orifice (d) dans la partie (c) du tube d'admission, tandis que les ouvertures (k) de la bague sont plus longues que celles de la tubulure (b). La longueur circonférentielle de chacun des deux orifices (k) est égale à la somme des longueurs circonférentielles d'un orifice (c) et de l'ouverture (d).
Réglage: la fig. 3 montre la bague et son levier en position "neutre". Les deux orifices (c) arrière et l'orifice (d) avant de l'ajutage sont ouverts en plein. Si l'on déplace la manette (h) vers la droite, la bague (i) commence à fermer l'orifice (d) d'admission d'air pur, tout en laissant ouverts en grand les orifices (c), ceux-ci ne commençant à s'obturer qu'après la fermeture complète de l'orifice d'admission d'air pur (d).
Si l'on déplace, par contre, le levier (h) vers la gauche au-delà de la position neutre, on ferme ainsi simultanément les ouvertures (c) et l'ouverture (d) et le moteur ralentit jusqu'à l'arrêt.
Toutefois, l'arrêt du moteur peut s'ensuivre également en position neutre, c'est-à- dire les orifices (c) et (d) ouverts en plein, car l'ouverture (d) est calculée pour suffire au remplissage du tube d'admission, ce qui neutralise l'effet de la carburation. En d'autres termes: l'air pur admis avant de l'ajutage qui, en quantité mesurée, sert à favoriser la pulvérisation de fines gouttelettes entraînées par l'air admis par les ouvertures (c) et à appauvrir le mélange, devient trop important à pleine ouverture de l'orifice (d) et le moteur s'arrête par manque d'air carburé. L'inventeur constate en outre que l'organe à double réglage peut affecter toute forme constructive, par exemple un plateau ou disque à manette au lieu d'une bague. De plus, il se réserve de disposer sur l'organe de réglage une chemise protectrice pour empêcher les poussières de pénétrer dans le carburateur (fig.5).
Le carburateur réalisé selon le brevet de 1902
L'image (à gauche) montre le carburateur à pulvérisation et à niveau constant réalisé par Vaurs selon ce brevet, tel qu'on le voit sur les photos des tricars Austral. Il se compose du corps du réservoir muni d'un flotteur avec pointeau et de la tubulure de mélange verticale avec le dispositif de réglage. La jointure inférieure entre les deux parties renferme l'ajutage et le conduit qui relie celui-ci au réservoir d'essence. Le couvercle de la cuve porte le raccord du tube d'essence au centre et un titilleur qui permet de noyer le flotteur et d'augmenter le niveau et la richesse pour le démarrage.
À en juger par le collier de serrage autour du dispositif de réglage et par la disposition de celui-ci sur le carburateur, la bague à double réglage décrite par le brevet a été remplacée finalement par "un plateau ou disque à manette" cité également dans ce texte. Une idée de l'apparence et du fonctionnement de ce mécanisme donne un autre brevet déposé par Baptiste Vaurs en 1905 (décembre 1904 en Belgique, voir ci-dessous).
Comme la plupart des carburateurs plus anciens, le carburateur Vaurs est de courant ascendant, disposé au-dessous de la culasse de sorte que l'air carburé sorte en haut, contre la gravité et au risque que l'essence plus lourde se dissocie de l'air. Pourtant, cette disposition a eu l'avantage de ne jamais noyer le moteur, parce que l'essence non brûlée entrerait plutôt dans le carburateur que dans la boîte à soupapes. À cause de l'absence d'un circuit de ralenti avec un gicleur de petit débit, les carburateurs anciens fonctionnaient bien aux régimes plus élevés, mais le gicleur unique débitait trop par rapport à la faible quantité d'air admis en ralenti. Le carburateur Vaurs breveté en 1902 ne faisait pas exception à cette règle car, les sections d'air avant et arrière de l'ajutage étant proche de la fermeture complète, l'appel d'essence était trop important et celle-ci pouvait noyer le carburateur.
Afin d'éviter que la pipe d'admission se refroidisse trop en hiver, on l'enveloppait d'un tissu comme sur la photo du tricar de course, qui montre, en outre, l'autre côté de la tubulure de mélange du carburateur (au-dessus, à droite).
Le 9 décembre 1905, Baptiste Vaurs demande un autre brevet en France (déjà déposé en Belgique le 10 décembre 1904) concernant un nouveau carburateur (vous trouvez le texte intégral de ce brevet ici ). Rien n'indique que ce carburateur fut utilisé sur les tricars Austral. Nous pouvons donc nous contenter d'en décrire brièvement la différence principale par rapport au brevet antérieur.
Le système de réglage reste le même, mais la bague à double réglage décrite dans ledit brevet est remplacée par un plateau percé de deux ouvertures et susceptible d'être déplacé pour masquer ou démasquer les deux ouvertures semblables d'un disque. Ce plateau (14) tourne sur un axe-bouton (10) de sorte que ses deux ouvertures (15, 16) peuvent coïncider avec les deux ouvertures (12, 13) du disque (9) centré sur le même axe, mais empêché à tourner par un ergot (11). Le plateau constitue le fond d'un tambour (19) sur lequel est fixée par un collier de serrage (22) la manette (17) qui actionne le plateau (14). En déplaçant la manette de la verticale d'un angle de 50 à 65º soit à gauche, soit à droite, les ouvertures d'air (12, 13) du disque (9), qui se trouvent avant et arrière de l'ajutage, sont entièrement masquées par les parties pleines du plateau (14). Pour chaque position intermédiaire de la manette (11), les ouvertures (12, 13) sont démasquées dans la même proportion et il en résulte une constance des quantités d'air pur et d'air carburé pour le mélange formé. Cet organe de réglage est apparemment déjà réalisé sur le carburateur de 1905 équipant les tricars Austral (voir ci-dessus).
La principale nouveauté tient au fait que le carburateur est complété par un dispositif automatique permettant une arrivée d'air supplémentaire et une fermeture intermittente de l'ajutage de pulvérisation. Le but est d'éviter le problème mentionné plus haut de la formation d'un mélange trop riche à bas régime, lorsque l'ajutage débite trop d'essence par rapport à la faible quantité d'air admis.
Le dispositif est constitué d'une boîte à soupapes (24) fermée par un chapeau qui porte un doigt horizontal (30) engagé dans une coulisse (32) formée sur la manette principale de réglage (27). La boîte est vissée dans une tubulure ouverte (23) qui se trouve au-dessus de l'ajutage et qui est venue de fonte avec la tubulure (2) et débouche dans celle-ci. La tubulure (23) est taraudée intérieurement par un pas de vis rapide de sorte que la boîte (24) peut tourner librement lorsqu'un déplacement angulaire dans le plan vertical de la manette principale (27) entraîne le doigt (30) et avec lui la boîte (24) qui monte et descend alors comme une vis dans la tubulure (23). Dans son intérieur, la boîte porte une tige-soupape (25) pouvant coiffer l'ajutage (4). Celle-ci est maintenue soulevée par un ressort (26) interposé entre la base (29) de la boîte et un disque (27) fixé sur la tige.
En marche normale, la boîte à soupapes est à la position haute, sans influencer la carburation. Mais, dès que la manette principale (17) est déplacée suffisamment vers la droite (fig.1), la boîte descend et se rapproche de l'ajutage (4) à ce point que la soupape peut fermer celui-ci. En raison de sa descente et de sa rotation partielle, des orifices (33) percés dans sa paroi viennent coïncider avec des orifices (34, 35) percés dans la tubulure (23), ce qui permet l'introduction de l'air extérieur qui pénètre dans la chambre de mélange à travers des trous (37) percés dans la base (29) de la boîte à soupapes. La boîte descendue, chaque fois que l'aspiration du moteur vaincra la résistance du ressort (26) pour admettre l'air supplémentaire par les orifices (33, 37), la soupape (25) fermera l'ajutage (4) et empêchera l'échappement de l'essence, ce qui assure un fonctionnement régulier du moteur à bas régime.